La Musardière : l’écoresponsabilité comme ligne de conduite
Après trois années passées à voyager et travailler à l’étranger, Susie Lefort et Benjamin Revel atterrissent à l’hôtel-restaurant La Musardière, une nouvelle vision de la restauration en tête. Alors âgés de 25 ans, ils reprennent les rênes de l’établissement, lui en cuisine et elle en salle, avec la volonté de prouver que l’on peut participer au tourisme de manière respectueuse. Rencontre avec ce duo engagé qui a offert à la Musardière ses 3 macarons Écotable.
Pouvez-vous nous en dire plus sur votre prise de conscience écologique et l’impact que celle-ci a eu dans votre métier ?
Notre prise de conscience a été entraînée par quelque chose qui n’est pas du tout écologique à la base : le voyage. Nous avons voyagé et travaillé à l’étranger pendant plusieurs années, et nous avons été dégoûtés par ce que nous avons pu voir concernant le domaine de la restauration. En Amérique du Sud, par exemple, Benjamin a constaté qu’il n’y a aucun tri des déchets. Ils ont de supers produits, mais sont malheureusement traités aux pesticides, ils utilisent des produits terribles pour l’environnement et travaillent dans des conditions vraiment difficiles. Le constat était assez similaire en Australie. De retour en France, nous avons travaillé en Corse, dans la réserve de la Scandola. C’est un endroit magnifique, mais qui est surexploité pour le tourisme. Tout cela a contribué à nous faire réaliser à quel point la restauration était un domaine polluant, que ce soit en termes d’émission de gaz à effet ou même de production de déchets. Ayant déjà adopté des pratiques écoresponsables dans notre vie personnelle, nous ne nous voyions pas agir autrement au travail. Alors, quand nous sommes arrivés à La Musardière, nous avons directement commencé à instaurer une démarche écoresponsable dans l’établissement.
La Musardière, hôtel-restaurant à Giverny
Une des idées reçues sur l’écoresponsabilité en restauration, c’est que cela coûte cher. Avez-vous remarqué un impact financier ?
Au contraire, dès le début, ça a été hyper rentable. On travaille avec une trentaine de fournisseurs à ce jour, du plus petit qui va juste nous faire le miel ou la farine, au plus gros qui fait plein de choses. Quand on suit la production des producteurs, on accède à des tarifs beaucoup plus intéressants. La seule contrainte, c’est qu’on peut se retrouver avec de grosses quantités d’un seul et même produit. Mais il suffit de le transformer. Par exemple, là on a eu plein de sureaux, donc on a fait plein de vinaigre et de sirop, et on en aura pour toute l’année !
Cependant, récemment, nous avons voulu passer à un approvisionnement 100% bio pour les fruits et légumes, mais nous nous sommes confrontés à des tarifs beaucoup plus élevés qu’auparavant, alors après discussion avec notre fournisseur Presto’bio , et parce qu’ils ont apprécié notre démarche globale, ils ont accepté de faire des efforts sur leurs tarifs , pour que nous puissions proposer des produits biologiques, de qualité à nos clients tout en restant à des tarifs raisonnables.
Après, le fait de faire nos propres produits d’entretien a permis de diviser le budget ménage par quatre. On a aussi banni tous les produits d’accueil individuels de l’hôtel (savon, shampoing, lait pour le corps…). On achète en gros et en vrac et on les mets nous-mêmes dans des flacons réutilisables, c’est beaucoup moins cher. On remarque aussi que la démarche plaît aux clients, donc ils reviennent plus souvent et ils en parlent autour d’eux. Donc, finalement, on s’y retrouve !
À l'issue de votre second audit, vous avez été labellisés 3 macarons Écotable et avez reçu plusieurs badges (Locavore, Zéro-déchet, Circuit Court, Viande durable et Pêche Durable). Pouvez-vous nous donner des exemples d’actions que vous avez mises en place ?
Nous n’utilisons plus de poissons de mer depuis 3 ans maintenant, on travaille avec un pêcheur d’eau douce à 3 km du restaurant. On lui achète toute sa pêche, même les produits les moins nobles, car nous avons la volonté de valoriser tous les produits, quels qu’ils soient. Nous utilisons désormais de l’huile de tournesol de chez “Pousse de là” à la place de l’huile d’olive. Notre fournisseur est d’ailleurs désormais dans l’annuaire des prestataires engagés d’Écotable. On a aussi banni toutes les boissons industrielles type Fanta, Coca, Schweppes… on ne propose que des boissons artisanales, françaises, ou des cocktails à base de sirops maison faits à partir de ce qu’on trouve dans le coin : romarin, pâquerette, sureau…
Côté entretien, on n’utilise plus de Javel et on évite les produits industriels. Pour les machines sur lesquelles il y a du gras, comme la hotte, on a encore du mal à trouver une alternative qui soit efficace, mais pour le reste, on fabrique nos produits maison.
Sinon notre démarche passe tout simplement par plein de petites actions qui peuvent sembler insignifiantes, mais ont de l’impact, par exemple : utiliser des brouillons pour faire des carnets de bon, ne plus utiliser de film plastique ni d’aluminium dans la cuisine, ne pas faire de cuisson sous vide… c’est des choses assez simple à mettre en place au quotidien !
Vous aussi, accédez à notre annuaire de prestataires engagés en rejoignant Impact par Écotable !
Est-ce que ça a changé votre manière de cuisiner ?
Travailler en direct producteur, ça change forcément la manière de procéder. Avec les gros fournisseurs, tu demandes ce dont tu as besoin. Là c’est l’inverse, on demande ce qu'ils ont en stock et on s'adapte. C’est forcément un peu plus contraignant à la base, mais en termes de créativité, c’est fou. On se creuse la tête et on fait des choses que l’on n’aurait jamais faites autrement. Parfois, le producteur n’a que de la courgette et il en a 80 kg. On se retrouve alors à faire de la lacto-fermentation, du séchage, du fumage et finalement, c’est super !
Autre exemple sur le fait de cuisiner local : en hiver, en Normandie, on n’a pas beaucoup de fruits pour les desserts. Ce serait plus facile de commander des mangues ou du chocolat, mais ce n’est pas en cohérence avec nos valeurs. Donc on utilise les légumes, on fait des desserts à la courge. Parfois il y a deux ou trois fois le même produit à la carte, mais on explique pourquoi aux clients, on les sensibilise, ils comprennent et apprécient notre démarche.
Dans le cahier des charges du label Écotable, il y a un volet social. Quelle est votre vision sur la question ?
La profession fait actuellement face à une pénurie de main-d’œuvre. Pour en sortir, il faut retravailler l’image de la restauration. Il faut arrêter avec l'image du chef qui hurle et jette des casseroles à travers la cuisine et il faut changer les règles de la profession. Certes, nous avons un métier dur, stressant, avec des horaires décalés, mais on peut l’améliorer en changeant des petites choses au quotidien, ou tout simplement en écoutant les gens. C’est ce que nous essayons de faire. On communique énormément avec notre équipe, on les encourage à venir nous voir quand ça ne va pas, ou même d’ailleurs quand tout va bien. Le bien-être au travail passe avant tout par l’échange. On essaie aussi de limiter les coupures pour qu’ils aient des journées les plus continues possibles. De plus, côté recrutement, l’expérience nous a appris qu’il ne faut pas hésiter à prendre ceux qui n’ont pas l’opportunité d’avoir leur chance ailleurs. On a tendance à écarter les profils « fragiles », c’est-à-dire ceux ayant peu d'expérience, un parcours compliqué, une fragilité psychologique, ou encore une blessure. Il faut au contraire savoir les valoriser, les pousser… ce sont souvent ceux qui seront les plus motivés et les plus aptes à évoluer rapidement. Aujourd’hui, on a une équipe qui reste, qui est là depuis plusieurs années. Les saisonniers reviennent, ce qui est plutôt bon signe. Ça ne veut pas dire que tout est parfait, il y a toujours des améliorations à apporter évidemment, mais ça se passe bien. Et comme dans ce métier tout se sait, la communication se fait tout seule. Quand ça se passe bien, les talents viennent à vous !
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