Semaine de 4 jours : une révolution possible en restauration ?
Si le concept n’est pas nouveau, la semaine de quatre jours fait de plus en plus parler d’elle et s’est déjà invitée dans de nombreuses entreprises en France. Mais qu’en est-il du domaine de la restauration, connu pour son rythme de travail soutenu et ses horaires exigeants ? D’après l’enquête People at Work 2022, 76 % des salariés de l’hôtellerie-restauration souhaiteraient bénéficier d’une plus grande flexibilité dans l’organisation de leurs horaires de travail, avec la possibilité de les condenser sur une semaine de 4 jours. Cette nouvelle approche de l'organisation du temps de travail suscite beaucoup d'intérêt et soulève des questions sur son impact potentiel sur les employés, les employeurs et les clients. En 2022, seuls 2% des 200.000 restaurants en France avaient adopté cette organisation. Toutefois, ce chiffre est en hausse, sûrement suite aux retours positifs des salariés et dirigeants d’entreprise ayant sauté le pas. Dans cet article, nous explorerons les avantages et les défis de la semaine de quatre jours en restauration, témoignages à l'appui.
- 76 % des salariés issus du secteur de l’hôtellerie-restauration souhaiteraient bénéficier d’une plus grande flexibilité dans l’organisation de leurs horaires de travail, avec la possibilité de les condenser sur une semaine de 4 jours ;
- 31 % seraient prêts à accepter une baisse de leur rémunération en contrepartie de la flexibilité de leurs horaires de travail ;
- Plus des deux tiers (67 %) seraient d’accord pour que leur rémunération soit diminuée en échange d’un meilleur équilibre vie professionnelle / vie personnelle ;
- 64 % des salariés du secteur ont envisagé de changer de carrière au cours de l'année écoulée et 29 % ont songé à travailler dans un autre secteur d’activité ;
- 17 % ne sont pas satisfaits de leur travail actuel, en raison pour 40 % d’entre eux d’un nombre d’heures de travail inacceptable ;
- Ils sont plus d’un sur 4 (27 %) à déclarer ressentir du stress tous les jours au travail, que ce soit à cause des journées interminables (31 %) ou de l’accroissement de leurs responsabilités suite à la pandémie (29 %).
(enquête « People at Work 2022 »)
Les avantages de la semaine de 4 jours pour les restaurateurs
Un modèle flexible qui s’adapte selon les besoins
Lorsqu'elles décident d'adopter la semaine de 4 jours, l'organisation est propre à chaque entreprise. Alors que certaines choisissent de réduire le nombre d'heures de travail sur la semaine sans diminuer pour autant les salaires, d'autres au contraire, font le choix d'augmenter la durée quotidienne de travail sans réduire la durée de travail hebdomadaire, ce qui revient à travailler le même nombre d'heures en moins de jours. Le secteur de la restauration est particulièrement adapté à la mise en place de la semaine de 4 jours. En effet, l’activité des établissements peut varier selon les jours de la semaine. Certains connaissent une période de rush pendant les jours de semaine et une baisse de fréquentation le week-end, pour d’autres, c’est l’inverse. La semaine de quatre jours permet d’adapter le shift des équipes en fonction des besoins, et ainsi de baisser les coûts de main-d'œuvre tout en maintenant une bonne qualité de service.
Une meilleure qualité de vie pour les employés
L'un des principaux avantages de la semaine de quatre jours en restauration est l'amélioration de la qualité de vie des employés. Si les conditions de travail en restauration sont régulièrement pointées du doigt depuis de nombreuses années, la crise du COVID-19 a permis une réelle prise de conscience du côté des salariés. Horaires à rallonge, coupures, travail le week-end… Le rythme de vie des professionnels de la restauration est particulièrement intense et éprouvant. En réduisant d'une journée le temps de travail hebdomadaire, les employés peuvent profiter de journées supplémentaires pour se reposer, se ressourcer et passer du temps avec leurs proches. Cela peut contribuer à réduire considérablement le stress et l'épuisement professionnel, améliorer la santé mentale et favoriser un meilleur équilibre entre le travail et la vie personnelle. Les employés auront également plus de temps libre pour se consacrer à leurs intérêts personnels, ce qui peut renforcer leur motivation et leur engagement au travail.
« Pour moi, on a 20 ans de retard sur d’autres secteurs. Le passage à la semaine de 4 jours n’est même pas une avancée, on rattrape juste le retard qu’on a. C’est essentiel si on veut faire perdurer notre artisanat. »
Benjamin Breton chef de cuisine et propriétaire de l’auberge de Lucinges
Un moyen de se démarquer pour recruter plus facilement
Dans un secteur où la pénurie de main-d'œuvre qualifiée est actuellement un véritable défi (environ 200 000 postes vacants au niveau national), l'adoption de la semaine de quatre jours peut constituer un avantage concurrentiel pour les employeurs. L'équilibre entre vie professionnelle et vie privée n'a jamais autant compté qu'aujourd'hui. C'est même devenu un critère d'emploi majeur pour la plupart des candidats. Instaurer ce dispositif peut donc permettre de rendre le secteur plus attractif et donc d’attirer des talents.
Des équipes plus productives
Bien que cela puisse sembler paradoxal, la semaine de quatre jours peut également avoir un impact positif sur la productivité des employés. En bénéficiant de journées plus longues de repos, durant lesquelles ils peuvent consacrer plus de temps à leur vie familiale, à leurs loisirs personnels ou autres responsabilités, les travailleurs sont plus heureux et donc susceptibles de revenir au travail plus énergisés, plus concentrés et plus motivés. Cette augmentation de la productivité peut compenser la journée de travail en moins et permettre aux restaurants de maintenir leur efficacité opérationnelle. Le restaurant est alors, lui aussi, gagnant. Il n’est donc pas question de travailler moins, mais de travailler différemment.
« Le travail n’est pas une finalité, il faut apporter du sens. Quand on est chef, c’est notre choix de faire en sorte que notre vie tourne autour du travail. Mais aujourd’hui on peut plus demander aux jeunes de nous suivre sans but et sans raison. »
Marie-Ange Martinez, cheffe et propriétaire du MADAME – Table de Cheffe et de La Java Bleue
La fidélisation de la clientèle
La semaine de quatre jours en restauration peut également apporter des avantages côté clientèle. En ayant des employés plus reposés et plus satisfaits, les restaurants peuvent offrir un meilleur service et une expérience client améliorée. Les employés auront également plus de temps pour se former et se perfectionner, ce qui peut se traduire par une qualité culinaire supérieure. Par ailleurs, la question de l’éthique se pose de plus en plus pour les consommateurs. Un restaurant qui traite bien ses employés aura meilleure presse qu’un établissement dont les équipes semblent malmenées.
« Notre objectif est de redonner envie aux gens de travailler en restauration. Ce qu’on met en place aujourd’hui doit devenir la norme de demain. »
Chloé de Saint Laurent - Groupe Nouvelle Garde
Défis et ajustements nécessaires
Bien que la semaine de quatre jours présente de nombreux avantages, il est indéniable que sa mise en place ajoute de la complexité administrative et managériale. Son adoption en restauration peut également présenter des défis. Les restaurants devront revoir leur planification du personnel, réorganiser les équipes et peut-être ajuster les horaires d'ouverture pour s'adapter à ce nouveau modèle. De plus, une communication claire et une gestion efficace du temps seront essentielles pour éviter toute confusion et assurer une répartition. Il est important de garder à l'esprit que cette nouvelle organisation peut ne pas convenir à tout le monde. N'hésitez pas à consulter vos équipes avant de sauter le pas !
Ils ont adopté la semaine de 4 jours dans leur restaurant
Benjamin Breton chef de cuisine et propriétaire de l’auberge de Lucinges
Nous avons ouvert le restaurant en septembre 2021. Rapidement, il a été évident que l’on devait passer à la semaine de 4 jours. Ça s’est fait de manière progressive, mais finalement dès mars 2022, nous sommes passés à 3 jours de repos tout en conservant le niveau des salaires. Dans un premier temps, nous avons adopté cette pratique pour faire face à la difficulté de recruter. Le secteur fait face à une véritable pénurie due aux conditions de travail que les nouvelles générations ont raison de ne plus vouloir accepter. Pour moi, il est évident qu’il faut revoir le fonctionnement de la restauration. Il faut réussir à rééquilibrer le pro/perso, donc impérativement trouver un moyen de réguler les heures. Pour cela, deux solutions : soit passer en semaine de 4 jours, soit ouvrir uniquement le midi ou le soir. Sauf si on a la capacité financière de doubler les équipes, bien sûr. Nous avons choisi la première option, et le changement a été reçu très positivement par l’équipe. Au début, forcément, cela leur a fait bizarre. Certains venaient de grandes maisons et n’étaient pas très chauds. Mais rapidement, tout le monde s’est rendu compte de l’impact énorme que cela représentait. Ils peuvent avoir des projets de week-end, ils passent du temps avec leurs proches ! Certains sont parents, ça leur change la vie. Forcément, ça reste un équilibre à trouver. Ce n’est pas évident de condenser l’activité sur 4 jours, réduire les créneaux laisse forcément moins de perspective. Moi pour le moment, je suis obligé de compenser : je n’ai qu’un jour de repos. Mais, même si ça demande de l’organisation, le bilan est 100 % positif. L’équipe est dans un meilleur état d'esprit, ils sont plus reposés, plus motivés, plus concentrés. Et puis qu’on se le dise, en tant que patron, c’était difficile d’engueuler quelqu’un qui travaille 20 heures de trop par semaine, sous prétexte qu’il bosse mal !
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Marie-Ange Martinez, cheffe et propriétaire du MADAME – Table de Cheffe et de La Java Bleue
Le point de départ pour cette démarche, ça a été les difficultés de recrutement. Depuis des années, je me demandais sans cesse : « Pourquoi cette profession ne fait-elle plus rêver les nouvelles générations ? ». Pour comprendre, j’ai discuté avec des jeunes, et ce qui ressortait toujours, c’était les contraintes d’horaires qui rendent difficile de concilier vie privée et vie professionnelle. Dans la restauration, les plannings sont généralement distribués au dernier moment, il est donc impossible de s’organiser, ne serait-ce que pour aller à un rendez-vous chez le dentiste. Personnellement, j’ai accepté au cours de ma carrière des conditions de travail qu’aujourd’hui plus personne n’accepte. C’est valable dans la profession, mais comme partout ! On doit tous s’adapter, il y a une pénurie de main d'œuvre en France et une incapacité de la part des employeurs à se remettre en question. Notre profession doit balayer devant sa porte et évoluer, sinon nous ne serons plus en mesure de transmettre notre vocation. Un comble pour la France qui est le pays de la gastronomie !
Cela fait 1 an et demi maintenant que nous sommes passés en semaine de 4 jours. Au début, on avait tout simplement réduit le nombre de jours d'ouverture à 4 jours, en conservant les salaires pour qu’il y ait une adhésion. On bossait un peu plus chaque jour, ça se faisait facilement, en faisant la mise en place plus tôt le matin, par exemple. Mais niveau business, ce n’était pas évident, et cela nécessitait que tout le monde soit sur le pont le samedi. Aujourd’hui, on en est à la V2 de ce modèle : on ouvre 5 jours, mais les employés ont un planning de 4 jours, sur 4 semaines et qui se reproduit sur 12 mois. Donc une semaine sur deux, ils ont leur samedi, et surtout ils ont de la visibilité, ce qui leur permet de s’organiser entre collègues au besoin. Pour que ça fonctionne, il a forcément fallu réorganiser la cuisine et la salle. Par exemple, avant il y avait 4 personnes en cuisine, maintenant ils ne sont plus que 3. Il a donc fallu retravailler les menus, les recettes… Nous avons également désormais besoin que nos collaborateurs soient polyvalents. Et d’ailleurs, chacun accepte volontiers de faire des choses qui ne correspondent pas à leur fiche de poste parce qu’ils savent que ça tourne.
Ce que je remarque, c’est qu’il n’y a plus eu d’arrêt de travail depuis. Et le fait qu’ils aient dû développer leur polyvalence a apporté de la fluidité et de la souplesse : quand l’un d’eux doit s'absenter, c’est facile de le remplacer. Ils savent tout faire, donc ils prennent le relai sans stress. Par ailleurs, comme ils sont moins fatigués, ça ne leur pose pas de problème de se porter volontaire. Il y a également moins de turn-over. Recruter, c’est un problème, mais fidéliser c'en est une autre ! Avant les jeunes étaient là, dans la cuisine à dire : « je rêve de partir voyager, après l’été je ne serai plus là ». Aujourd’hui, ils ont d’autres projets, parce qu’ils sont bien où ils sont.
Chloé de Saint Laurent, chargée de développement et RSE & Steven Juquin directeur exécutif du groupe Nouvelle garde (Brasserie Martin, Brasserie Bellanger, Brasserie Dubillon, Brasserie des Près)
Le but de Nouvelle Garde, c’est de créer un modèle plus vertueux, plus social, de la restauration. Dès le début, il a donc été évident qu’il fallait revoir les horaires. Nous avons proposé deux options à nos équipes : soit condenser leurs heures sur une semaine de 4 jours, soit ne pas avoir de coupure. La salle a choisi 4 jours, donc deux services par jour, et en cuisine ils ont préféré rester sur 5 jours, mais ne pas avoir de coupure (les chefs de partie, les sous-chefs et les chefs peuvent être amenés à en faire de temps à autre). C’était important pour nous d’impliquer les employés dans la prise de décision, ça les concerne directement et ça leur permet de se sentir impliqués dans le projet.
Nous sommes ouverts 7 jours sur 7, matin, midi et soir. Cela demande d’avoir beaucoup de monde dans les équipes pour que ça tourne. De plus, en cuisine, tout est fait maison, il faut donc une équipe le matin et une le soir pour que cela soit gérable. C’est un parti-pris, et un challenge avec la pénurie de main-d’œuvre à laquelle le secteur fait face actuellement, mais cela nous semble nécessaire. D’ailleurs, même avec ce modèle, ça reste difficile de recruter. La première question qui tombe en entretien, surtout pour un poste en cuisine, c’est à propos des coupures. Le secteur doit donc se réinventer, et comme il y a de plus en plus de monde qui propose ce type d’organisation, se démarquer n’est pas évident. Mais on ne peut pas se passer de cet argument, il est devenu vital.
Nous n’avons pas rencontré de difficultés particulières en adoptant la semaine de 4 jours. On utilise Skello pour les plannings, on essaie de faire tourner pour que ce ne soient pas toujours les mêmes qui soient du soir ou du week-end. Il faut que cela soit juste pour tout le monde. Forcément, pour l’équipe salle qui est sur 4 jours, cela fait des grosses journées, puisqu’ils travaillent 10 heures 30 par jour. Mais quand on travaille en restauration, on fait généralement des grosses journées et on est en décalé par rapport aux autres, ce qui impacte la vie sociale. Alors, ils préfèrent travailler dur sur une période plus condensée, mais avoir une vraie coupure de 3 jours durant lesquels ils peuvent voir leurs proches et se reposer. Ils peuvent également échanger leurs shifts entre collègues, ce qui leur permet de partir plus facilement en vacances. Si ce modèle ne leur convient plus à un moment, on pourra évidemment le revoir. À terme, nous aimerions pouvoir leur proposer de passer en 3,5 jours/3,5 jours. Le bar de la Brasserie Martin fonctionne déjà comme ça, et ils en sont très contents.
Notre objectif est de redonner envie aux gens de travailler en restauration. On est attentif à leur ressenti, on a mis en place un questionnaire qu’ils remplissent deux fois par an de manière anonyme, pour checker l’évolution de leur bien-être. Un plan d’action en découle pour améliorer les conditions de travail. Ce qu’on met en place aujourd’hui doit devenir la norme de demain.
Vous l’avez compris, la semaine de 4 jours offre bien des avantages que ce soit pour recruter des talents ou encore les fidéliser en améliorant leur bien-être au travail. Alors, êtes-vous prêt à sauter le pas et à prendre part à cette révolution ?
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