François-Régis Gaudry : son regard sur le milieu de la restauration en 2024
On ne présente plus vraiment François-Régis Gaudry, journaliste et critique gastronomique, animateur de l’émission de radio « On va déguster » sur France Inter, que l’on retrouve à la télé dans Top Chef sur M6, mais aussi dans « Très très bon » sur Paris Première. Il est également l'auteur d'encyclopédies de cuisine passionnantes et à succès, les fameux « On va déguster… » la France, l'Italie ou encore Paris. Bref, François-Régis est un homme aux multiples casquettes et multiples projets, avec toujours la passion pour la gastronomie comme fil conducteur. Nous l’avons accueilli au micro de notre podcast Sur le Grill d’Écotable pour une discussion autour de son métier ainsi que de l’évolution du secteur de la restauration. Voici un extrait de cet échange passionnant.
Bonjour François-Régis, peux-tu te présenter en quelques mots et nous parler un peu de ton parcours ?
Je suis journaliste gastronomique. Il me semble important de préciser que quand je parle de “gastronomie”, ce n’est pas un gros mot. En effet, aujourd’hui, le mot est un peu connoté, puisqu’il il est devenu le synonyme de ce sport de riche qui consiste à aller au restaurant et d'y laisser un bras avec une addition à trois zéros, alors que pour moi il se rapporte tout simplement à tout ce que l’on mange.
Initialement, je n’ai pas voulu faire de la gastronomie un métier, c'était davantage une espèce de hobby, sans ambition professionnelle derrière. J’ai grandi dans une famille dans laquelle on était assez sérieux avec la chose : on m'a appris à porter une attention particulière sur ce qu'il y avait dans mon assiette et finalement, j’ai accumulé beaucoup de connaissances sur le sujet, qui se sont mêlées à une vraie passion. C’est grâce à ce bagage que j’ai finalement commencé à me spécialiser peu à peu dans l'alimentation au cours de ma carrière de journaliste, jusqu’à devenir critique gastronomique en 2005.
Comment as-tu vu évoluer le secteur de la gastronomie depuis tes débuts ? Est-ce qu'il a changé ?
Il s’est surtout considérablement enrichi. Le secteur a connu des années un peu sombres dans les années 90, avec la guerre du Golfe, et c’est sous la contrainte de cette guerre et de la difficulté de la situation économique qu’est née la bistronomie. J’ai eu la chance de faire mes premiers pas dans le métier en assistant à un réenchantement de la gastronomie. On a vu monter une mayonnaise avec de plus en plus de talents. Même si ça a pris pas mal de temps, des femmes cheffes se sont mêlées au sujet aussi avec énormément de talent, et aujourd'hui je suis bluffé par la fertilité de cet écosystème qu’est la gastronomie de notre pays. Évidemment, tout cela déclenche aussi certains abus, avec parfois des propositions absolument surréalistes et finalement très superficielles réalisées plus par opportunisme commercial que par réelle envie, mais nous avons une très belle scène gastronomique à Paris et en France.
Est-ce que tu as l'impression que la restauration a évolué sur les questions de l’écoresponsabilité ? Que les restaurateur.ices prennent leur part sur ces enjeux-là ?
Globalement, j'ai envie de dire oui. Moi qui suis plutôt du genre pessimiste dans la vie, j'ai tendance à penser qu'il y a déjà eu un gros chemin parcouru, notamment, il faut bien l’avouer, grâce aux chefs de la jeune génération parce qu’ils sont mieux armés culturellement et techniquement pour affronter les enjeux et les périls écologiques qui se présentent à nous, par rapport à l'ancienne génération qui est issue d'une époque où on pouvait gaspiller sans compter sans forcément se soucier de toutes les problématiques environnementales. Alors certes, parfois, on a quand même quelques raisons de désespérer, mais en même temps, partout où je tourne mon regard, je vois de belles initiatives qui ont du sens, et d’ailleurs Écotable en fait partie. En revanche, il faut rappeler que les chefs agissent aussi en fonction de la volonté de leurs clients, donc le consommateur a une responsabilité également, et il doit devenir plus que jamais un consomm’acteur, y compris quand il est devant la carte d'un restaurant dans un bistrot, une pizzeria, ou n'importe quel lieu de restauration hors domicile.
Et le rôle du gouvernement dans tout ça ?
Très clairement, il n’y a pas assez d'efforts qui sont faits de ce côté-là. Il y a eu par Olivier Grégoire cette initiative que j'ai plutôt soutenue et qui consiste à revoir totalement le label « Fait Maison » qui était devenu relativement laxiste. C’est à mon avis un premier pas, mais il est tellement insuffisant. Après, il faut engager tout un métier dans de nouvelles contraintes là où, par ailleurs, leur situation financière est plus que jamais compliquée. On est aujourd'hui dans un contexte très difficile pour la restauration avec un wagon de mauvaises nouvelles qui leur tombe sur la figure et un contexte géopolitique qui fait que ça devient beaucoup plus compliqué d'exercer son métier, parce qu’il y a une certaine morosité ambiante qui fait qu'on va peut-être moins au restaurant. Depuis septembre, le taux de fréquentation des restaurants a baissé de 25 à 30 %, c'est considérable ! Il y a aussi la hausse des matières premières et le prix de l'énergie qui a atteint des tarifs exorbitants. Donc il est vrai que les pouvoirs publics essayent d'éviter de leur mettre des contraintes supplémentaires ce qui fait que les choses sont un peu au ralenti.
Qu'en est-il des questions sociales comme le bien-être au travail ou la place des femmes dans le métier ? Est-ce que tu as l'impression que ça évolue ?
Il y a eu des dérives, dont on a beaucoup parlé avec notamment le Me Too de la restauration. Ça suit son cours, même si là encore, on pourrait penser que ça ne va pas forcément assez vite ! Il y a cette question de voir le verre à moitié plein ou à moitié vide. Le verre à moitié plein, c'est de se dire qu'aujourd'hui plus que jamais, il y a des femmes cheffes qui sont enfin reconnues à leur juste valeur, de plus en plus, et ce, un peu partout. Il y a une espèce, non pas de rébellion, parce qu'il n’y a aucune animosité dans ce mouvement justement, mais de formidable élan sociologique. Alors évidemment, on peut se dire que ça part de très loin et que, en étant un peu optimiste, il n’y a qu’un cinquième du chemin qui a été parcouru, mais en tout cas, on peut considérer que cet élan est en marche et qu’il ne pourra que prendre de l'ampleur à l'avenir. Il y a une parole qui devait se libérer et elle s'est libérée. Du moins en partie, car je pense que tout n’a pas été dit, à cause des freins sociétaux qui sont en place et qui, pour différentes raisons, dissuadent les femmes de parler, surtout quand elles ont été victimes de violence humaine, sociale, voire sexuelle. Et ça ne concerne pas que les femmes d'ailleurs, parce que la question de la violence, c’est aussi une violence qui s’est imposée par cette nature quasiment militaire de la gastronomie qui était un domaine très hiérarchisé, avec une autorité, des injonctions, et des ordres. Après, pour ce qui est de la représentativité des femmes sur la scène gastronomique, s’il est vrai qu’elle est en marche, elle est clairement insuffisante aujourd'hui. Mais en tout cas je pense qu'on a nous, journalistes ou observateurs de ce milieu, un vrai rôle à jouer en leur donnant plus que jamais la parole, surtout quand le talent est au rendez-vous. Elles sont parfois passées un petit peu à côté de la lumière. Donc notre rôle de journaliste, c'est précisément de remettre un peu le projecteur sur elles. Le rôle des médias est central sur ce sujet.
Sur ton métier de critique gastronomique, quand tu juges un plat, est-ce que tu prends en compte les questions écologiques ?
Tout à fait. Il y a encore une vingtaine d'années, quand j’exerçais mon métier, je me contentais de me demander si ce que j'avais dans mon assiette était bon, si l'équilibre des saveurs était là, si la suavité d'un ingrédient était bien compensée par l'acidité d'un autre, si c'était bien assaisonné, bien condimenté, si la cuisson d'un légume était juste, et c’est tout. Heureusement, à un moment dans mon métier, j'ai eu une prise de conscience qui m’a amené à me poser plus de questions, telles que : « Est-ce que ce que je mange est bon pour ma santé ? Est-ce que c'est bon pour la santé du producteur qu'il y a en amont ? Est-ce qu'il est justement rémunéré ? Est-ce que c'est bon pour la planète ? Est-ce que c'est issu d'une agriculture vivante ? Etc. ». C'est évidemment aujourd'hui des questions qu'on est obligé de se poser, y compris la proportion de végétal et d'animal quand on regarde une carte.
Est-ce qu’il y a une mesure politique que tu aimerais souffler au gouvernement ?
Très clairement. Je suis triste de voir que le bio, après avoir connu de très beaux jours, est en recul chez les consommateurs. Effectivement, on ne peut pas leur jeter la pierre. Il y a des contraintes financières du fait de l'inflation qui est passée par là. On se paye certainement moins le luxe de se tourner vers des produits qui ont la réputation d'être plus chers. Mais ce n’est pas toujours le cas, et c'est pour ça qu'il faut se battre contre cette idée reçue. Je trouve que, pour le coup, on ne fait pas assez pour les producteurs qui sont en agriculture biologique. Ils s'en sont pris plein la figure, ils ont plus de mal à trouver des débouchés, et je ne trouve pas que les pouvoirs publics soient tellement au rendez-vous pour les aider. Alors il faudrait étudier la question pour voir quelle mesure pourrait être entreprise, mais en tout cas, il faut absolument continuer à les encourager.
Retrouvez la rencontre dans son entièreté sur notre podcast Sur Le Grill d'Écotable :
Crédit photo : Fred Stucin / Pasco&Co / Paris Première